Colombie #2 : La renaissance de Medellín et de la comuna 13

Medellín est aujourd’hui l’une des villes les plus modernes d’Amérique latine alors qu’il y a une quinzaine d’années, on ramassait encore les morts à la pelle. Si elle s’est relevée, c’est en partie grâce à ses habitants.

« Entre 4 et 8 heures »

C’est la réponse que j’ai obtenue quand j’ai demandé au guichet des tickets de bus combien de temps il me faudrait pour relier Peirera à Medellín. Quatre à huit heures, c’est peu précis mais au moins, c’est honnête.

J’avais quitté à regret Salento ce matin-là en montant à bord d’un minis bus qui était déjà plein, où l’on se serrait déjà beaucoup trop avant moi. Je n’ai pas eu d’autre choix que de m’assoir dans les marches, les pieds sur une cagette de bananes. Le bus était bondé mais personne n’avait trop chaud car l’air circulait très bien dans l’habitacle, il faut dire que le chauffeur roulait la porte ouverte. La Colombie défilait sous mes pieds et j’en étais ravie.

Me voilà à présent à Peirera, la ville qui relie toutes ses voisines depuis son terminal de bus, dont Medellín, ma destination. Avant de monter à bord du car, je vous conseille de faire le plein de nourriture mais ne faites pas comme moi, évitez de tout miser sur les stands de la gare routière. Il y a là autant de chips et d’empanadas dégoulinantes d’huile que de fourmis dans une fourmilière. Rien ne me donne envie et Dieu sait pourtant que j’aime le gras. Disons-le franchement, en dehors des grandes villes, la nourriture colombienne ne vous laissera pas un souvenir impérissable.

Le bus part à l’heure et à ma grande surprise, la climatisation n’est pas à fond (tout le monde m’avait mise en garde contre les températures frigorifiques des bus colombiens) et el wifi marche à peu près. En revanche, nous roulons aussi vite qu’une charrette tirée par un âne. Des travaux de modernisation de la voie, tout au long du trajet, vont multiplier par deux notre voyage. Ce sera donc 8 heures. La moitié du bus s’est endormie, l’autre écoute de la musique en haut-parleur. C’est ainsi ici, pour téléphoner ou regarder une vidéo, jamais personne n’utilise d’écouteurs. Ajoutez à ça les films diffusés par le chauffeur au volume maximum et vous aurez une petite idée de l’ambiance de notre disco-bus. Et moi je vous le demande, qu’il y a t-il de pire qu’un film français doublé en espagnol ?

Mé – dé – djin

A Medellín, les taxis sont plus chers qu’ailleurs, presque autant qu’en France. Alors quand j’arrive au terminal de bus, j’essaie d’embarquer un inconnu avec moi pour partager la note, je suis devenue un peu radine voyez-vous. Je fonce droit sur un jeune Allemand, tout propret et bien élevé qui attend tout seul et qui, comme je le sentais bien, va dans le même quartier que moi. Notre chauffeur de taxi a la trentaine, un goût certain pour le reggaeton commercial et vulgaire – tout comme moi-, et une grande envie de draguer de la cliente, – pas comme moi. J’essaie de converser avec mon nouvel ami allemand tout en répondant aux nombreuses sollicitations de notre conducteur. J’esquive comme je peux ses réflexions lorsqu’il me lance d’un coup : « Hey, je t’invite à prendre un verre et à danser, ça te dit ?». Heureusement, on arrive devant mon auberge, je laisse alors l’Allemand aux mains du chauffeur colombien en espérant qu’il assure mieux que moi à la salsa.

Mon premier regret en arrivant à Medellín est de ne pas avoir prévu assez de temps sur place, en seulement deux nuits, il est évident que je n’en verrai pas grand-chose. Je loge dans le quartier del Poblado, comme tous les touristes visiblement. C’est plutôt sûr, aisé et vous trouvez dans chaque rue de quoi manger et boire un verre.

Medellín est une ville résolument moderne, d’ailleurs c’est la seule de Colombie à disposer d’un métro, et est très arborée. Vous pouvez vous promenez sereinement dans de nombreux quartiers très agréables, mais comme souvent, il vaut mieux éviter certains coins la nuit comme le centre-ville qui devient complètement désert après 19 heures. Autre désagrément de poids, la qualité de l’air est particulièrement désastreuse les jours de pic de pollution. Le trafic routier et les nombreuses usines chimiques en périphérie sont à l’origine de ce gros nuage jaune que l’on voit le matin posé sur la ville.

A mon auberge, je questionne un peu le jeune homme de l’accueil sur les activités à faire et les quartiers à visiter. « Je t’arrête tout de suite, on ne dit pas Medellin ou Medeline, mais Mé-dé-djin. Les deux « l » se prononcent « dj » en Colombie», m’explique t-il d’emblée. Je l’ignorais totalement mais à présent je me sens parfaitement bilingua.

Je suis très heureuse de discuter avec lui car il parle anglais et c’est la première fois depuis le début de mon voyage en Colombie qu’il m’est donné l’occasion de converser facilement avec quelqu’un (je connais cinq mots en espagnol dont trois sont probablement italiens). Je lui demande alors s’il a étudié l’anglais à l’école.

– « J’ai appris la langue en vivant 4 ans aux États-Unis en fait», répond-il.

-« Ah super ! C’est cool que tu ais pu vivre à l’étranger.

Non pas vraiment, on a fuit la guerre avec mes parents, on était en exil», dit-il un peu désolé.

Inutile de dire que je me suis sentie un peu honteuse, de nombreuses familles comme la sienne ont quitté la Colombie au plus fort de la guerre contre les narcotrafiquants et les paramilitaires et ne sont revenues que des années plus tard. Medellín va beaucoup mieux aujourd’hui, mais partout les habitants vous rappellent que les conflits ne sont pas loin derrière eux.

La comuna 13, symbole de la résilience colombienne

Le lendemain matin, sur les recommandations de mon interlocuteur, je pars visiter la célèbre comuna 13. J’ai réservé un tour avec un petit groupe, l’un des organisateurs vient me chercher à mon auberge. On fait un peu de chemin ensemble jusqu’au métro, j’apprends qu’il est heureux de vivre à Medellín mais qu’il déteste l’air qu’on y respire, depuis qu’il est là, son asthme s’est aggravé.

-« Tu vis ici depuis longtemps ? Tu viens de quelle ville», lui ai-je demandé.

-« Je ne suis pas Colombien mais Vénézuélien, je suis réfugié ici. J’ai quitté cet enfer Dieu merci.

Tu sais qu’en France, on a un leader d’extrême gauche qui fait les louanges du Président Maduro ? Le Venezuela est un modèle pour lui.

C’est qui cet abruti ? Ce pays est une tombe, ses dirigeants des dictateurs et je remercie tous les jours Dieu de m’avoir laissé m’enfuir» conclut-il à fleur de peau.

On rejoint finalement notre petit groupe à l’entrée du métro Poblado et prenons la direction de San Javier. Nous rencontrons notre guide, William, qui a grandi dans la comuna 13 et y vit toujours. On a environ quarante minutes de transport pour rejoindre le quartier situé sur les hauteurs.

Au fait, pourquoi venir visiter la comuna 13 sachant que c’était encore le quartier le plus dangereux de Medellín il n’y a pas si longtemps ? Pas par voyeurisme macabre, mais pour découvrir un lieu qui se relève de son passé grâce à ses habitants, un lieu qui est devenu le symbole de la résilience colombienne face à la guerre.

William commence alors son récit sur la tragique histoire de la comuna 13. Il remonte aux années 1960, lorsque le conflit armé a poussé les paysans de la région à se réfugier sur les hauteurs de Medellín. Avec le temps, ces bidons-villes ont grandi pour recouvrir toutes les collines environnantes et ont peu à peu fait partie de la ville. La Comuna 13 est un de ces quartiers, empilé n’importe comment, l’eau et l’électricité sont arrivés très tardivement.

On a tort de penser que les guérillas n’opèrent que dans la jungle, leur présence est toute aussi urbaine que rurale. Dans les années 90, elles se sont en effet infiltrées dans les quartiers populaires des grandes villes. C’est à ce moment-là que le conflit a commencé à devenir urbain. Alors que les combats font rage entre les guérillas (groupes d’extrême gauche), les cartels de drogue, les gangs locaux et les paramilitaires (groupes d’extrême droite), les guérillas des Farc et de l’ELN vont prendre le contrôle de la comuna 13. En réaction, les paramilitaires d’extrême droite de l’AUC tentent alors de reprendre cette zone stratégique pour le trafic d’armes et de cocaïne. Pendant 10 ans, la Comuna 13 va devenir l’un des quartiers les plus dangereux de la Colombie. Les habitants vivent dans la terreur quotidienne et risquent leur vie dès qu’ils sortent de chez eux. Pendant ce temps-là, l’État est totalement absent et les abandonne à leur sort.

En 2002, Alvaro Uribe devient le nouveau Président de la Colombie, et ce n’est pas un tendre, d’autant plus qu’il a une dent en particulier contre les Farc qu’il accuse d’avoir tué son père. En guise d’inauguration de son mandat présidentiel, il va lancer la terrible opération « Orión » et envoyer l’armée, la police et les forces spéciales, soit plus de trois mille hommes lancés dans une opération destructrice contre la population. Durant trois jours, les hommes armés soutenus par des hélicoptères et des véhicules blindés, vont faire le siège de la Comuna 13 pour éliminer les combattants des FARC. Et puis « Uribé, qui était de connivence avec un groupe de paramilitaires d’extrême droite, a envoyé un escadron de la mort faire le sale boulot. Sous prétexte de vouloir éliminer les Farc, ils ont « nettoyé » la favela de tout opposant politique. En trois jours, on pense que 500 personnes ont été portées disparues » explique William. Officiellement, le bilan est de 11 morts et 200 blessés mais en réalité, de nombreuses familles n’ont jamais revu leurs proches, probablement enterrés dans des fosses communes. Encore aujourd’hui, la vérité totale n’a pas été faite sur cette opération sanglante.

Il va falloir attendre la fin des années 2000 pour voir le quartier s’apaiser peu à peu et les combats armés se raréfier. A cette époque, des initiatives des habitants commencent à voir le jour, notamment via la culture urbaine : les grafitis et la danse hip-hop. La ville commence également à mettre la main au porte-monnaie pour soutenir et développer le quartier. On construit notamment des écoles et une bibliothèque. C’est enfin le début de la renaissance de la Comuna 13. Aujourd’hui, ce sont les fresques murales que les touristes viennent admirer, toutes évoquent les combats, les morts que l’on ne veut pas oublier mais aussi l’espoir de la jeunesse de faire renaître ce quartier.

Partout où l’on passe, nous voyons des cafés, des ateliers d’artistes, des bars où la musique explose. On se faufile entre les danseurs et les vendeurs d’empanadas, on a l’impression d’être à carnaval.

-« Moi j’adore mon quartier, je suis très fier de ce qu’on en a fait. Beaucoup de gens ici vivent du tourisme, c’est nouveau pour nous. J’espère qu’avec toute cette joie de vivre, tout cet entrain, le regard des gens va changer sur la comuna » m’explique William alors qu’on mange une glace en regardant les toits roses des maisons.

Tu crois que le regard des gens change vraiment ? Je suis sûre que la moitié des touristes viennent ici parce qu’ils ont vu Narcos.

Tu sais, quand un groupe me saoule un peu parce qu’ils ne s’intéressent qu’au trafic de drogue et me demandent 10 000 fois les lieux où est passé Pablo Escobar, j’aime bien leur faire des petites frayeurs. Quand on croise mon copain Javier qui a le visage entièrement tatoué, j’aime bien dire « oh merde, les gars on est mal là, ce type est dangereux alors s’il vous-plaît, on passe à côté en baissant les yeux surtout ». Et là, ils se font tous dessus ah ah. Pourtant, il est brave Javier», dit-il en se marrant.

Au-delà de l’art, c’est la transformation urbaine qui a permis au quartier de se désenclaver et de s’ouvrir au reste de la ville car avant la station de métro située au pied de la Comuna 13, les habitants mettaient un temps fou à rejoindre le centre-ville. Et puis, il faut bien avoir en tête que la comuna est construite sur des collines et que ça monte sacrément. Alors pour aider les habitants, l’Etat a finalement construit un immense escalator qui a révolutionné leur vie.

Medellín aujourd’hui

En 1991, Medellín a atteint un taux record de 390 homicides pour 100 000 personnes, à titre de comparaison, il est de 1,3 pour 100 000 habitants en France. Mais aujourd’hui, la situation s’est grandement améliorée à tel point que Medellín est passée de la ville la plus violente du monde à celle de la plus innovante en 2017 et a réussi à réduire de 95 % sont taux d’homicides. La situation n’est pas rose pour autant, les cartels et gangs de drogue se partagent encore certains quartiers mais globalement vous pouvez y vivre normalement. Quant aux touristes, ils ne risquent rien n’ayant aucune raison d’être la cible des narcotrafiquants.

L’envol du narco-tourisme

Ce n’est pas parce que vous avez vu les trois saisons de Narcos que votre voyage en Colombie doit se transformer en pèlerinage de tous les lieux fréquentés par Pablo Escobar. Toutes les anciennes demeures du parrain de la drogue, sa tombe ainsi que la Catedral, la fameuse prison qu’il s’était fait construire, sont devenus des passages obligés pour de nombreux touristes. Et vous n’aurez aucun mal à trouver des city tour de Medellín dédiés à Pablo Escobar. Ce développement fulgurant du « narco-tourisme » agace sévèrement une partie des colombiens. Imaginez si des touristes étrangers venaient à Paris pour faire un tour de tous les lieux où ont été commis des attentats terroristes, et réalisaient des photos de groupe, pouces levés, devant le Bataclan et Charlie hebdo.

La mairie de Medellín lutte comme elle peut contre ce commerce morbide et a d’ailleurs décidé de faire exploser l’une des anciennes résidences d’Escobar à la dynamite, la résidence Monaco. Alors avant de réserver une visite de la sorte, pensez un peu au fait que ce genre de tourisme se fait au mépris du traumatisme de toute une génération qui pleure encore ses morts.

3 choses que j’aurais aimé faire à Medellín :

Malheureusement, je ne suis pas restée suffisamment longtemps sur place. Mais si vous en avez la possibilité, je vous recommande de :

  1. Visiter le musée de la mémoire : C’est un musée gratuit dédié à la mémoire des victimes du conflit armé. Le visiter est un bon complément pour en apprendre plus sur l’histoire tragique de la ville.
  2. Aller voir un match de foot : Regardez les dates de match sur Internet et prenez des places lorsque l’Atlético Nacional (l’équipe première de Medellín) joue à domicile. L’ambiance est parait-il exceptionnelle. Malheureusement, il n’y avait aucun match pendant mon séjour sinon j’y serais évidemment allée avec plaisir et j’aurais même pris la peine d’apprendre un peu d’espagnol pour insulter l’arbitre, l’équipe adverse, et par réflexe, Jean-Michel Aulas.
  3. Suivre un Free Walking tour du centre-ville : Tous les hôtels et auberges vous le proposent, il s’agit de la découverte gratuite du centre-ville de Medellín et de son histoire. Même si le centre est particulièrement moche et pas spécialement bien fréquenté, tout le monde m’a dit que cette visite était très instructive. Et puis, il va bien falloir que vous vous habituiez aux villes moches car vous risquez d’en croiser beaucoup en Colombie.