Comment réserve t-on un voyage sur un porte-conteneurs ? Est-ce que ça coûte cher ? La cabine est-elle petite ? On ne s’ennuie pas trop à bord ? C’est vrai qu’il y a une piscine ? Du haut de ma grande expérience, je réponds aux questions que vous vous posez peut-être.
I. Réserver son voyage en cargo
Tous les cargos prennent-ils des passagers ?
Beaucoup l’ignorent mais il est effectivement possible d’embarquer sur un porte-conteneurs. Selon leur aménagement, la plupart des navires commerciaux disposent de quelques cabines passagers. En revanche, toutes les compagnies maritimes n’acceptent pas les passagers à bord. Alors si vous êtes tentés par l’expérience, je vous recommande de vous adresser à la compagnie française CMA CGM, basée à Marseille, qui elle, a une politique d’accueil très ouverte.



Pourquoi voyager en cargo ?
Oubliez tout de suite l’image du ferry de croisière, le capitaine ne fera pas de photo payante avec vous et vous ne serez pas obligés de vous taper un spectacle de magicien. Rien n’est prévu pour vous divertir, vous offrir un bon dîner arrosé ou vous faire perdre de l’argent au casino. Alors pourquoi s’infliger ça me direz-vous ?
Tout simplement parce que ce mode de déplacement est un voyage en lui-même. Imaginez traverser les mers de Chine, passer le canal de Suez ou encore débarquer à New York depuis le Havre. Ce sont des routes maritimes historiques que vous pouvez emprunter avec la possibilité de faire parfois des escales à Carthagène, en Jamaïque ou encore au Japon. Je peux vous assurer que quand vous montez à bord, vous vous sentez privilégiés car vous pénétrez dans un lieu interdit au public et partagez la vie des marins.
La notion de temps est aussi centrale car vous pouvez embarquer aussi bien pour quelques jours que pour deux mois. La plupart des passagers qui ont choisi ce mode de transport l’ont fait pour prendre le temps de lire, d’écrire, dessiner et prendre des photos. Mais si vous n’avez aucun talent, vous pouvez toujours manger des chips face à la mer.
Enfin, choisir le cargo, c’est choisir l’immensité. De la machine d’abord, puisque le bateau est démesurément grand, haut et lourd, il vous faudra des jours voire des semaines pour le parcourir en entier. Et évidemment, l’immensité de l’océan que vous aurez à loisir d’observer, avec quelques sauts de dauphins ou de baleines si vous êtes chanceux.
Quelle route maritime choisir ?
Tout dépend de ce que vous voulez voir et surtout, du temps que vous voulez passer à bord. Je pense personnellement qu’il faut au minimum dix jours en mer pour découvrir pleinement le bateau et créer des liens avec l’équipage. Ensuite, demandez-vous ce que vous voulez voir, comme le canal de Panama, les Caraïbes ou encore la Méditerranée. Désirez-vous réaliser une boucle ou faire un trajet jusqu’à un autre pays ? Les routes maritimes sont nombreuses, en revanche, certaines sont très prisées ce qui signifie que la compagnie privilégiera toujours les passagers qui feront la boucle en entier et non ceux qui veulent descendre à mi-parcours. Renseignez-vous bien en amont.

Comment réserver son voyage ?
Si vous envisagez un voyage sur un porte-conteneurs, je vous recommande de vous rendre sur le site voyagesencargo.com/fr géré par la CMA CGM que vous pourrez contacter via un formulaire en ligne.
Très rapidement, vous allez être recontactés par un conseiller qui vous aidera à organiser votre projet et répondra à toutes vos questions. Et je vous préviens, c’est parfois très compliqué de concilier vos envies avec la réalité. Mon rêve était de passer le canal de Panama mais nous n’avons trouvé aucune ligne me permettant de le réaliser (je ne voulais pas faire de boucle depuis la France).
Et si je n’ai qu’un conseil à vous donner, prenez-y vous très tôt ! Il se peut que votre route maritime soit très demandée…

Côté paperasse, il faut fournir quels documents ?
Je vous préviens d’avance, c’est l’enfer administratif. Plus je remplissais des documents, plus on m’en demandait de nouveaux. Mais pour résumer, vous aller devoir fournir :
- Une fiche d’identité
- Une photocopie de votre passeport ;
- Un certificat médical spécifique fourni par les compagnies maritimes et à faire valider par le médecin traitant ;
- Les visas et vaccinations demandés en fonction de la destination (fièvre jaune…) ;
- Une décharge de responsabilité ;
- Une assurance assistance, rapatriement, frais médicaux et hélitreuillage. Également, il est recommandé de souscrire à une assurance annulation (je ne l’ai pas fait).
Est-ce que ça coûte cher ?
Oui, ce n’est pas franchement économique par rapport à l’avion. Le prix d’une traversée en cargo est fixé à journée. En principe, une cabine double est accessible entre 110 et 130 € par jour et par personne. Ce tarif comprend la pension complète, le ménage et le pressing.
Mais, il y aussi des frais supplémentaires dont vous ne connaîtrez pas le montant à l’avance. Ce sont les frais de port ! Des vrais. J’ai dû payer 80 dollars en liquide (évidemment) pour rentrer dans le port de Buenaventura en Colombie et m’acquitter de 40 dollars quand je suis arrivée au Pérou. Ces tarifs sont très opaques et variables. Chouiner et râler ne servent à rien, j’ai tenté.
Quand est-ce que je peux connaître la date de départ de mon bateau ?
Dieu seul le sait, et encore. Le calendrier est sûrement l’une des choses les plus compliquées à gérer dans la réservation d’un voyage en cargo. Car la date de départ est toujours approximative, d’autant plus si vous vous y êtes pris plusieurs mois à l’avance. Vous devez être très flexibles et prévoir large en matière de congés. Ne réservez pas trop en avance vos billets d’avion ou hôtels si vous en avez besoin pour rejoindre votre port de départ.
Pour ma part, j’avais initialement réservé un voyage de 12 jours de Carthagène jusqu’au Pérou en passant pas le canal de Panama. Mais un mois avant mon embarquement, cette ligne maritime a été fermée pour problème technique (ne me demandez pas ce que ça veut dire, je n’en sais rien) et ma réservation a donc été tout bonnement annulée. J’ai finalement accepté la seconde proposition de la CMA CGM avec un départ depuis Buenaventura en Colombie (adieu le canal de Panama) et pour une durée inférieure de moitié. C’était ça ou rien.
Ensuite, j’ai dû être extrêmement patiente puisque ma date d’embarquement changeait tous les jours. C’est pour cela que la compagnie vous demande d’arriver au port au minimum deux jours avant la date prévue, le bateau pouvant aussi bien être en avance qu’en retard. Et bien que je sois ouverte aux traditions locales, devoir patienter plusieurs jours dans un hôtel de Buenaventura, l’une des villes les plus dangereuses de Colombie à cause du transit de la drogue et des armes vers l’international, ne me réjouissait pas beaucoup.
Mais pour vous aidez dans cette épreuve, sachez qu’un agent portuaire local est missionné pour vous assister au quotidien. Moi, j’en ai même eu deux, José et Jefferson (ils arrivaient pas à choisir entre-eux). Ce contact vous sera extrêmement précieux puisqu’il pourra vous dire chaque jour où se situe votre bateau, si vous devez encore patienter plusieurs jours ou venir en courant. Et si vous êtes aussi sympas que moi, peut-être que votre agent portuaire vous proposera une visite de la ville et vous offrira même un restaurant.
II. La vie à bord
Un porte-conteneurs, est-ce que c’est confortable ?
N’imaginez pas que vous serez dans une cabine minuscule et lugubre en dessous du niveau de la mer avec des rats et des fuites d’eau au plafond. Les cargos sont conçus pour vivre confortablement à bord. Selon leur date de fabrication et leur modèle, ils ne sont pas tous aménagés de la même manière mais vous trouverez dans la plupart des cas une salle de sport, parfois même une piscine, ainsi que des transats, des salons, une bibliothèque, une salle de cinéma…

Côté nourriture, j’ai été grassement nourrie. Notre chef ukrainien nous servait tous les jours des ragouts, des pâtes au fromage, des légumes ou des Chocapic selon les goûts de chacun. En revanche, sachez que la qualité et la diversité des repas dépend beaucoup de la nationalité de l’équipage à bord. Tous m’ont dit redouter les équipages philippins puisque les repas rimaient seulement avec riz matin, midi et soir. En revanche, les Philippins sont les rois des karaokés tous les soirs.
Combien y a-t-il de passagers à bord ?
Vous pouvez être totalement seul à bord comme une dizaine. La capacité d’accueil du navire varie d’un bateau à l’autre et de l’attrait de la ligne. Certaines routes maritimes sont très recherchées, d’autres n’attirent presque personne. C’était le cas de la mienne, je n’ai pas eu à me battre pour la dernière part de gâteau.
Est-ce qu’on peut avoir le mal de mer à bord ?
Globalement, on sent à peine les vagues à bord, la bateau étant bien trop grand et lourd pour s’en inquiéter. Mais lorsque la mer est un petit peu plus agitée que d’habitude, c’est au moment du coucher que vous vous en rendez compte. Lors de ma première nuit à bord, le mouvement du navire m’empêchait de dormir, je roulais dans mon lit de part en part, alors j’ai fait comme tous les marins, je me suis persuadée que j’étais dans un train et ça marche.
Est-ce que comme moi, vous aurez accès à toutes les parties du bateau ?
Alors ça malheureusement, je ne peux pas vous le garantir. La CMA CGM a une politique très accueillante envers les passagers mais au final tout dépend de la bonne volonté du capitaine. Dans mon cas, le maître du Lisa Marie souhaitait que je puisse aller absolument partout pour peu que j’en informe l’équipage, et que je puisse même assister à toutes les réunions du crew. Sur d’autres vaisseaux, il est tout à fait possible que le capitaine ne vous laisse pas vous promener à votre guise et qu’il vous interdise de prendre des photos par endroit. Vous êtes tolérés à bord, vous devez vous plier aux règles qui vous sont imposées. Ou alors devenez capitaine.
Est-ce qu’il y a Internet à bord ?
En règle générale, non. Sur mon bateau, il existait une connexion wifi mais c’était hors de prix, mes 20 euros de crédits m’ont duré 30 minutes ! Je suis désolée de vous l’annoncer, mais il va falloir lire des livres à bord.
Néanmoins, c’est possible d’obtenir une adresse mail personnelle le temps du voyage pour informer vos proches, moyennant un coût supplémentaire à régler avant de débarquer. Mais à nouveau, si vous êtes aussi gentils et beaux que moi, peut-être que le capitaine vous le fera gratuitement.
Qu’est ce qui se passe si vous tombez malade à bord ?
Sachez que chaque matin, je me réveille en me disant que si ça se trouve, c’est aujourd’hui que je vais avoir la crise de l’appendicite. Cette peur ne m’a jamais lâchée lorsque j’étais à bord du cargo, car une fois en pleine mer, il n’y a pas d’infrastructures médicales à bord, uniquement une trousse de premier secours. Si vous êtes malades et que vous devez aller à l’hôpital, il y a de grandes chances pour que vous soyez hélitreuillés (d’où l’importance d’avoir une assurance qui vous couvre bien pour cela). Le bateau n’a pas le temps de faire un détour pour vous ramener au port, il perdrait beaucoup trop d’argent. Les bananes sont plus précieuses que vous.
C’est pourquoi vous ne devez embarquer que si vous êtes en bonne santé. Personnellement, je me suis même fait arracher les deux dents de sagesse qu’il me restait avant de partir pour mon voyage (véridique, j’avais trop peur d’une nouvelle infection).
Est-ce déconseillé pour une fille seule ?
Absolument pas, aucune crainte à avoir. Même si les femmes sont plutôt rares à bord, sachez qu’il y a aussi des femmes officiers et je peux vous assurer qu’elles n’ont peur de rien. De plus, vous serez une reine à bord, tout le monde prendra soin de vous.

Est-ce indispensable de parler anglais ?
Les équipages comportant en général des nationalités différentes, la langue officielle à bord est l’anglais. Si vous n’est pas à l’aise avec, cela ne me semble pas impossible mais tout de même très handicapant. Vous ne pourrez pas communiquer avec l’équipage et ce sera compliqué pour vous de réaliser les tests de sécurité qui vous seront demandés au début de votre voyage. Et si les choses tournent mal et que les haut-parleurs dans le couloir hurlent d’abandonner le navire et de se diriger vers les chaloupes et que vous, vous avez compris qu’il reste du rab à la cantine, cela peut être un problème.
Est-ce qu’il y a des risques de sécurité et de naufrage ?
Les risques sont nombreux mais les marins s’y préparent régulièrement en réalisant des tests et des simulations. Plusieurs fois par mois, tous les signaux lumineux et sonores du navire sont déclenchés, dont le fameux gros klaxon. Le crew doit se préparer aussi bien à un risque météorologique qu’à une une attaque terroriste, de pirates, notamment dans l’Océan indien, ou une prise d’otages. D’ailleurs, si la situation dégénère à bord pour une raison ou une autre, il existe au milieu du navire, une pièce sécurisée comme un bunker appelée la « citadelle » où tout le monde peut se retrancher. Et en cas d’évacuation, le bateau dispose d’une chaloupe hermétique qui ressemble à un petit sous-marin orange. Mais tout le monde prie pour ne jamais à avoir à monter dedans, il y fait horriblement chaud et ça sent des pieds alors qu’aucun pied n’est encore monté à bord.

On ressent quoi quand on arrive à destination ?
Moi, je suis arrivée de nuit. On regardait un film avec les officiers qui étaient de repos. Et puis dans la pièce noire, les lumières sont devenues rouges, puis jaunes, puis oranges clignotantes. Comme si cent camions et voitures s’étaient rentrées dedans et que tout ce qu’il existait d’ambulances et de policiers étaient venus précipitamment sur place. Partout ça clignotait et ça brillait, on venait d’arriver au Pérou, amarré au port de Calao. Alors je suis montée en courant vers la salle de contrôle, six étages à la course. J’ai poussé la porte blindée et d’un coup le Pérou m’a sauté dessus. Le port était immense autour de nous, des conteneurs partout comme si on avait trouvé leur nid. Il y en avait tellement que j’ai eu du mal à voir où se terminait notre bateau et où commençait le port.


Mais ce n’est pas ça qu’il m’a le plus frappée, ce qui m’a fait reculer de plusieurs pas pour bien voir, ce sont les grues. Elles sont grandes comme des immeubles à qui on aurait enlevé tout le béton et tout le plâtre et qu’il ne resterait plus que les poutres en fer.
Il n’y a jamais de temps mort dans le commerce maritime, les grutiers ont travaillé toute la nuit et même encore le jour suivant pour récupérer les conteneurs qui doivent partir, remplir ceux qu’on transportait vides et en rajouter des nouveaux. Au sol, les carcasses de camions formaient une longue file pour recevoir chacun leur conteneur comme des gros escargots qui attendaient qu’on leur pose leur coquille.
Je n’ai pas dormi cette nuit là à cause du bruit du métal, des vibrations du bateau et des lumières clignotantes. Et aussi, parce que j’étais triste de partir. Lorsque j’ai quitté le navire le lendemain matin, j’ai pleuré en disant au revoir au capitaine et aux officiers qui m’ont raccompagnée vers la passerelle. Je vous assure que six jours de voyage, ce n’est pas assez.
3. Six curiosités à savoir sur les cargos pour briller en société
Sur chaque bateau est prévu un espace pour le « Suez crew »
Même s’il n’a pas prévu de passer le canal de Suez dans sa carrière, chaque navire est équipé obligatoirement de cabines pouvant accueillir le « Suez crew« , c’est à dire les employés du port qui montreront à bord pour guider la navigation lors de la traversée du canal de Suez. Autant dire que ces cabines restent très souvent vides.
C’est un canal encore très compliqué politiquement à traverser. D’ailleurs, lors de l’escale à Port Saïd en Égypte, il est interdit de débarquer. Tout le long de la traversée de l’édifice, des militaires armées surveillent la progression du navire. Bonne ambiance garantie.

Avant les travaux, il ne restait plus que 15 cm de chaque côté entre les bateaux et les écluses du canal de Panama
Vous avez peut-être déjà entendu le terme « Panamax« , il s’agit des navires qui avaient les dimensions maximum pour rentrer dans les écluses du canal de Panama avant. Au fil des ans, les bateaux étaient devenus tellement immense qu’ils ne restaient plus qu’une quinzaine de centimètres avant de toucher les bords. Autant dire que pendant la traversée du canal, le capitaine ne pouvait pas éternuer.
En 2016, grâce à des travaux titanesques, le Canal de Panama a triplé sa capacité et s’est ouvert à des navires pouvant transporter jusqu’à 15 000 conteneurs. La nouvelle norme est appelée Neopanamax. L’obésité a de beaux jours devant elle.
Grutier pour 8 000 dollars par mois, c’est possible
Alors que j’admirais les immenses grues portuaires qui nous rajoutaient des conteneurs sur le dos, le capitaine du navire m’a appris que les conducteurs de ces engins pouvaient gagner jusqu’à 8 000 dollars par mois en fin de carrière. Inutile de dire que déplacer des boîtes est devenu ma nouvelle vocation.

Les naufrages mortels arrivent encore malheureusement : l’histoire d’El Faro
Je tenais vraiment à en parler ici car cette histoire m’a traumatisée et je n’arrêtais pas d’y penser à bord. Il faut dire que quelqu’un avait eu la bonne idée de laisser en guise de lecture sur la table du salon des passagers, un article relatant le naufrage épouvantable du cargo américain El Faro. Imaginez trouver dans votre siège passager lors d’un vol en avion, un récapitulatif des meilleurs crashs aériens. C’est ce que j’ai ressenti, mais je n’ai pas pu m’empêcher de le lire.
En octobre 2015, un cargo américain a sombré au large des Bahamas avec 33 personnes à son bord. Toutes sont mortes. La succession des évènements qui l’ont mené à reposer aujourd’hui à 4 500 mètres au fond de l’océan est absolument effarante.
Un énorme ouragan était en train de se former cette nuit-là et malgré toute la technologie à son bord, El Faro a foncé droit dessus au point même de se retrouver dans l’œil, au milieu des vents soufflant jusqu’à 225 km/h et des vagues de 15 mètres. Pourquoi n’a t-il pas dévié sa route ?
Ce que l’on sait, c’est que le capitaine américain du bateau, Michael Davidson, a appelé en plein milieu de la nuit, le numéro d’urgence de la compagnie. A ce moment-là, l’eau rentrait déjà dans les cales. La réponse de l’opératrice téléphonique m’a absolument traumatisée. Alors que le naufrage se profilait inexorablement, elle a trouvé bon de demander au capitaine :
« Je vais essayer de vous transférer à un opérateur qualifié. Une minute s’il vous plaît. [elle le met en attente]. J’ai besoin que vous me donniez votre nom, et votre grade aussi […]. Vous pouvez m’épeler le nom du bateau s’il vous plaît ?«
-“El Faro. Echo Lima Space Foxtrot Alpha Romeo Oscar. El Faro!”, s’énerve le capitaine.
Elle lui a répondu ça comme s’il avait appelé pour résilier Canal +. Pendant ce temps, tout le monde s’apprêter à couler.
La négligence est une grande coupable aussi dans cette affaire. Les rapports météorologiques que le bateau recevait étaient tous caduques de six heures car la compagnie n’avait pas pris l’option payante avec les instructions de routage notamment. Quand l’équipage se rassurait en passant que l’ouragan n’était que de force 3, il était en réalité passé à 4 sur une échelle de 5. Du coup, El Faro a foncé droit sur l’œil de l’ouragan en pensant l’éviter…
Mais l’erreur était peut-être aussi humaine. Quelques jours avant la tragédie, alors que l’ouragan commençait à se former, le capitaine a décidé, par souci d’économie de carburant, de maintenir la route prévue et de ne pas contourner l’ouragan. Et lorsque la seconde du navire, un peu paniquée, a demandé s’il ne fallait pas faire un détour immédiatement, le capitaine a répondu qu’il en avait vu d’autres des vagues comme ça en Alaska et que ça ne l’empêchait pas de dormir.
Les ennuis techniques ont vite commencé et étaient insurmontables. Les vagues étant tellement énormes et le vent soufflant tellement fort que l’eau a commencé à rentrer dans le bateau. Par la force du vent et à cause des voitures et camions qui s’étaient détachés à l’intérieur du navire et se baladaient au gré de la tempête, El Faro a commencé à pencher à près de 15%, dans le jargon maritime on appelle ça une gîte (et une list en anglais). Et le gros problème quand un bateau comme ça ne se tient plus droit, c’est que la cuve d’huile s’est trouvée tellement penchée que la pompe ne parvenait plus à l’atteindre pour l’injecter dans le moteur. Sans lubrification permanente, le moteur ne peut pas tourner. Donc vous l’aurez compris, El Faro s’est retrouvé en plein milieu d’un ouragan sans aucun moyen de propulsion.
Et comble de la malchance, les chaloupes de secours du navire n’étaient plus aux normes, elle auraient dû être entièrement hermétiques comme des petits sous-marins pour protéger les marins des rouleaux de vagues qui allaient les emporter. Ils sont tous morts noyés en abandonnant le navire…
Si cette histoire effroyable vous intéresse, je vous recommande de lire l’article de Vanity Fair (en anglais) qui le relate bien mieux que moi.
L’art du Tétris
Les milliers de conteneurs transportés par le navire ne sont jamais empilés au hasard. J’ai appris plein de choses là-dessus. Il faut déjà savoir que le porte-conteneur ne va, en principe, pas partir avec l’ensemble de sa cargaison depuis le port de départ mais va la compléter au fur et à mesure de son trajet. Certaines boîtes vont descendre au Mexique tandis que d’autres vont monter à bord. Et ce sera pareil au Pérou et en Équateur avant de retourner en Asie. Les navires transportent même certains conteneurs vides qui seront remplis plus loin.
Mais comment empile t-on tout ça ? Si les boîtes sont empilées comme des Lego super rapidement, il y a bien évidemment un ordre à respecter. Pour pas que tout le bouzin se casse la gueule, il faut d’abord positionner les plus lourdes en-dessous et les plus légères au-dessus. Mais en même temps, les conteneurs qui ont un système frigorifique – pour transporter notamment les fruits ou les fleurs -, doivent être proches du fond du navire pour être raccordés à l’électricité. En outre, les conteneurs remplis de produits toxiques ont une place à part, sachant que l’armateur et le personnel à bord n’ont aucune idée de ce qu’il y a à l’intérieur des boîtes (à l’exception des conteneurs frigorifiques), donc il faut se fier uniquement à ce que dit le client. Et enfin, les grutiers doivent prendre en compte lors des escales à venir, toutes les boîtes qu’il faudra décharger en premier.
Autre chose à savoir, les câbles qui maintiennent les conteneurs bien accrochés ensemble sont également conçus pour les lâcher en pleine mer si des vagues immenses s’abattent sur le bateau. C’est une perte financière pour la compagnie mais la vie de l’équipage prime. Et ce genre de problème n’est pas rare. On parle d’au minimum 1 000 conteneurs chaque année tombés à l’eau à cause de tempêtes ou de mauvaise maintenance. Et ce qui est très curieux, c’est que les armateurs n’ont pas l’obligation de déclarer la perte d’un conteneur. Personne ne va les chercher non plus, la grande majorité n’ayant pas de balise. Alors soit ils coulent au fond de la mer (oui avec toute la pollution qui va avec) soit ils flottent pendant des jours, des mois voire plus de deux ans. Ce qui est évidemment légèrement dangereux pour tous les bateaux de pêche ou de plaisance qui passent par là. Après s’ils ont un peu de chance, ils peuvent trouver une nouvelle télévision ou des bananes.
Si l’aventure vous intéresse et si vous avez un jour le temps de le faire, lancez-vous ! C’est le voyage le plus impressionnant et le plus instructif que j’ai fait de ma vie. Et pour rien vous cacher, je n’ai pas encore renoncé au canal de Panama… qui sait, peut-être que je remonterais un jour encore à bord d’un porte-conteneurs et que cette fois-ci, j’arriverais à klaxonner.
C est passionnant, merci !
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Merci beaucoup ! J’ai beaucoup appris aussi
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Je suis tombé sur cet article totalement par hasard et je l’ai trouvé passionnant et super bien écrit ! Par contre l’histoire du naufrage me refroidit un peu à l’idée de me lancer.. ^^ Merci !
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Merci beaucoup pour ton message ! Mais non il ne faut pas avoir peur des naufrages, c’est rarissime, c’était un drame particulier. Il faut vraiment se lancer, c’est incroyable à vivre comme expérience. Chloé
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