Kénia #1 : Randonnée express au Mont Kenya

Je suis partie 9 jours au Kenya au mois de février. Et pour ma première journée, je me suis dit que ça serait une bonne idée de commencer directement par l’ascension du mont Kenya. Ce n’était pas futé.

Après 10 heures d’avion, nous atterrissons de nuit à Nairobi, la capitale du Kenya. Deux semaines plus tôt, j’ai fait un virement de 2 100 euros à un Kenyan nommé Robert, propriétaire d’une petite agence locale, dont la banque s’appelle Buru Buru Branch. Mais ça, je vous l’expliquerai plus tard.

Jusqu’au bout, je ne suis pas sereine. A la sortie de l’aéroport, j’ai peur que personne ne nous attende. Robert s’est-il construit une villa avec piscine ? A t-il tout investi dans le minerai de cuivre ? A-t-il creusé des puits dans tous les villages ? Je scrute chacune des pancartes en me disant que tant pis, s’il le faut, je deviendrai cette Karen ou ce Mohammed. Mais Robert est bien là, ravi de nous accueillir mon amie et moi. Je grimpe dans sa voiture. On parle de notre vol, de notre programme, du dopage dans l’athlétisme, des gilets jaunes et de Didier Deschamps. Je jette un coup d’oeil à son poignet, pas de nouvelle montre en or. C’est bon signe. Tout va pour le mieux, Robert est honnête et très organisé. Il nous dépose à l’Hôtel Hilton et nous donne rendez-vous le lendemain à l’aube, pour un départ à 6 heures. Avec seulement 4 heures de sommeil devant moi, la journée suivante promet d’être éreintante. Nous allons grimper une partie du Mont Kenya.

Le lendemain, comme promis, le réveil sonne à l’heure des boulangers. Je n’ai ni envie de me lever, ni de faire du pain. J’empile au hasard mes vêtements dans le noir et rejoins le parking de l’hôtel où Robert nous attend déjà.

Il nous présente Mike, qui sera pour toute la durée de notre séjour, notre chauffeur et notre guide animalier. Originaire de Nairobi, il a fait l’école des animaux. Fan inconditionnel de N’Golo Kanté, il soutient Chelsea. Mais personne ne l’a jamais vu faire du sport. Jamais.

Casquette Von Dutch, sur la tête, les yeux encore endormis, il nous invite à monter dans son van. On grimpe dedans. Ça grince, ça balance, le plafond est bas, le plancher est haut. Robert nous dit au revoir et nous lâche dans la nature sauvage. Nous voilà partis. On traverse Nairobi en slalomant entre les camions fumant du noir, les motos sans casque et les bus bondés.

Je n’arrive pas à savoir si la ville est en construction ou à l’abandon. Rien n’est vraiment commencé ou vraiment fini. Même à cette heure matinale, partout et par centaines, des Kenyans marchent le long des routes et autoroutes, traversant en tous points. Derrière la vitre défilent les abris de fortune, les boutiques en taule et partout, les montagnes de déchets qui s’amassent dans le fossé et flottent au vent comme des méduses.

J’ai l’impression qu’il nous faudra une heure pour quitter Nairobi, tellement la ville se répand entre les collines. Peu à peu, les petites échoppes se raréfient, il ne reste plus que les vendeurs de bananes ou d’ananas et les jeunes bergers qui surveillent les bovins. Chaque vache est accrochée à une corde plantée dans le sol et tourne comme un compas. On traverse des champs de café et de thé puis de nombreuses plantations de fruits exotiques. A gauche du maïs du blanc, à droite du blé. « Et ça, c’est une moissonneuse batteuse » précise Mike. Il pense que je suis une citadine, née à Paris. Il va vite relativiser quand il me verra me rouler dans la boue pour enlever les parasites.

Je regarde une moto qui nous double, 5 poulets morts accrochés à la selle. Élevés dehors, abattus dans la rue, transportés à l’air libre, vendus au bord de la route, la chaîne du grand-air est parfaitement respectée.

Soudain, nous quittons la route pour emprunter une piste bosselée nous menant à notre lodge pour la nuit. On ne s’attarde pas, notre guide, que l’on a ramassé le long du chemin, nous invite à partir avant que la pluie ne s’abatte. On roule jusqu’à l’entrée du Mont Kenya national Park. La randonnée au bout de l’enfer commence ici.

Notre guide s’appelle Timothy.

Il est né et a grandi sur les flancs du second sommet d’Afrique. Autant dire qu’il peut faire l’ascension au pas de course tout en fumant clope sur clope. C’est d’ailleurs ce qu’il fait.

Il nous explique que le Mont Kenya (5 199 m d’altitude) est bien moins convoité par les randonneurs que le Kilimandjaro alors qu’il n’est inférieur que de 700 mètres. Il faut environ 5 jours pour en faire l’ascension complète. Nous nous contenterons de seulement 4 heures de randonnée pour aujourd’hui.

Le Kenya est haut, très haut. Même à Nairobi, vous vous trouvez à 1 800 mètres d’altitude. A notre point de rendez-vous, nous sommes déjà à 3 400 m au-dessus du niveau de la mer. C’est la première fois que je randonne si haut, j’ai hâte. Le chemin commence sagement entre les bambous et les plantes tropicales. L’air est froid et humide, le sol colle, les feuilles brillent. Le sentier, qui n’est pas balisé, se couvre peu à peu de brouillard. A quelques mètres de Timothy, je marche sur un petit chemin parallèle au sien. Il sourit et m’interpelle : « Tu ne devrais pas marcher sur ce sentier. C’est une voie de buffles. Si tu en croises un, tu es très mal ». Clignotant actionné, je change immédiatement de voie. Les buffles chargent facilement, et la seule manière de les effrayer, c’est de pousser des cris stridents en faisant des grands gestes avec les bras.

On continue notre ascension en file indienne. Les arbres sont devenus des genêts, l’herbe de la paille. Timothy nous raconte que des feux importants ravagent l’autre versant. Ils sont dus aux croyances populaires des paysans qui pensent ainsi attirer la pluie. Les gouttent commencent à tomber, on ressort nos parkas. Je me demande ce qu’il faudrait faire brûler pour que Paris gagne enfin la Ligue des champions.

La pente devient plus rude. J’ai beau être sportive, mes cuisses me brûlent, mon cœur bat dans mes oreilles, j’ai la nausée et je respire comme Grégory Lemarchal. Je comprends rapidement que je supporte mal l’altitude, surtout sans acclimatation. Je me sens mal, très mal. Timothy nous propose de déjeuner sur des grosses pierres pour se ressaisir. Il a prévu le seul repas qui ne se transporte pas et ne se mange pas froid : des frites. Mais je suis quand même heureuse de les manger avec un cure-dent. Au cours de la conversation, il nous met en garde contre les babouins : « Ce sont les ennemis de ton déjeuner » me lance-t-il. Non Timothy, si un macaque veut mes frites froides, il va falloir qu’il me prenne avec.

On reprend l’ascension, tout comme mes vertiges. La pluie s’abat sur nous, nos dos fument sous l’effort. Je souffre comme je n’ai jamais souffert avant au cours d’une randonnée. Le chemin est pentu et très escarpé, mais je m’accroche. Je sais que je ne vais pas briller mais l’important, c’est de prendre le point.

Plus on monte, plus la végétation change. Il n’y a bientôt plus d’arbre, plus de fleur. Le brouillard nous embaume. Encore une heure de marche, et nous devrions apercevoir, au loin, le sommet du mont Kenya.

Seules les plantes grasses et les fleurs cotonneuses survivent à 3 900 mètres d’altitude. Elles sont plus endurantes que moi ces garces.

On arrive finalement au sommet de notre montage, avec une vue express sur le sommet du mont Kenya. Juste avant que la brume ne s’assoit dessus. Les gouttes reprennent, on ne s’attarde pas, il est déjà l’heure de redescendre. C’est dommage, je commençais tout juste à me sentir mieux.

Après quatre heures de marche sous la pluie, nous arrivons à notre lodge. C’est la saison basse, nous sommes les seules clientes. Si les parties communes sont très chaleureuses et le dîner du soir très correct, la chambre, elle, laisse vraiment à désirer. Il fait aussi froid dedans que dehors. Et évidemment, l’eau chaude n’a pas l’air pressée de venir.

Après ma douche froide, j’aperçois soudain une bosse sous mes draps. Je suis persuadée de n’y avoir pourtant rien laissé. Je glisse mon bras doucement pour attraper ce qui se cache dessous. C’est poilu et chaud. Je hurle et bondi en arrière. Soit c’est un chat, soit un babouin. Il sait que j’ai encore des Pépito. Je ne me laisse pas abattre et décide de saisir la bête.

J’ai eu peur d’une bouillotte.