Je me suis retrouvée prise dans la neige, le vent, le brouillard et les averses, en plein mois de mai dans l’Utah. Vous voulez savoir comment j’ai survécu ? J’ai fui. Voici l’histoire de ma grande transhumance en direction des états arides.
Comme je vous l’ai dit précédemment, nous nous sommes réveillées un matin en état d’hypothermie, notre camping-car pris sous la glace et la neige de la nuit. Au mois de mai, le climat est toujours très fluctuant à Bryce Canyon, le parc étant situé à plus de 2 000 mètres d’altitude. J’allume un grand feu avec de l’essence, des pneus et des livres de Marc Lévy pour nous réchauffer. La météo ne promet aucune amélioration dans la journée, l’ensemble de l’Utah sera encore engourdi par le froid durant les prochains jours.
La grande transhumance
Nos vêtements les plus chauds étant nos pyjamas, il est temps de s’enfuir. Mais il reste toutefois un détail à régler avant de pouvoir démarrer notre engin. Notre tuyau à caca, qui relie notre camping-car à une fosse, est gelé. Impossible de l’enlever, il est visiblement rempli de glaçons d’urine. Je prends un bâton et tape dessus comme un primate, en attendant que quelque chose survienne. Un voisin passe et me souffle : « Vous avez pensé à verser de l’eau chaude dans votre évier et toilettes ? ». Évidemment que j’y ai pensé, m’écriai-je avec dédain, alors même que je commençais à ronger le tuyau avec les dents. Sur ses bons conseils, nous finissons par couper le cordon ombilical qui nous relie à la fosse à caca et prenons le chemin sur la route devenue blanche et collante.
Je regrette vivement que notre camping-car ne soit pas équipé de lance-flammes à l’avant. Je n’ai aucune idée de la conduite à adopter sur la neige avec ce type d’engin. Dans le doute, je lui mets des raquettes aux pieds. Nous avançons ainsi, à tâtons, dans un tourbillon blanc qui dissimule notre chemin. Nous avons empilé tous nos vêtements sur nous, en alternant avec des couches de torchis et de laine de verre. Je roule au hasard en buvant de la gnôle, en espérant bientôt débouler en Californie.
Après Bryce Canyon, nous avions initialement prévu de dormir deux nuits dans un modeste camping aux abords de Zion national Park. Situé à moins d’une heure de route d’ici, il y avait peu de chance pour que la neige cesse d’ici notre arrivée à Zion. Nous décidons d’aller sur place, annuler notre hébergement pour la nuit et de nous rapprocher du Nevada.
Alors que nous ignorons où nous allons dormir le soir-même, la tempête de neige redouble d’intensité. Plusieurs fois au bord de la route, nous voyons des grands panneaux publicitaires libres à louer. J’appelle le numéro indiqué et en réserve un pour une durée d’un an avec l’inscription : « PAYS DE MERDE !!! ».
Mais contre toute attente, après une heure de rando-raquettes avec notre camping-car, les gros flocons laissent place à un déluge de pluie. La dépression nous gagne aussi rapidement que les gouttes s’abattent sur nous. J’ai envie de mettre la tête dans le four et de respirer notre pot d’échappement.
Heureusement, à l’approche de Zion, les cieux nous accordent un peu de répit. La pluie cesse, quelques rayons de soleil glacés apparaissent. Nous arrivons d’ailleurs devant le camping que nous voulons annuler, par peur d’attraper la tuberculose. L’endroit est sinistre. En réalité, il s’agit juste d’un parking entouré de grillages. Nous descendons tout de même, enveloppées de papier bulles par-dessus notre pyjama, et cherchons l’heureux propriétaire des lieux. Personne aux alentours, on se dirige vers le bureau vitré qui sert d’accueil. Sur la porte, un post-it est collé : « Si je suis pas là, je suis pas là ». Merci gros.
C’est l’Amérique profonde, celle de la « Colline a des yeux ». On cherche par tous les moyens d’attirer l’attention du gérant qui se planque sûrement quelque part. On hurle : « Bonjour, je voudrais épouser mon cousin. Y a quelqu’un ? ». Notre approche porte ses fruits puisqu’une dame apparaît enfin pour annuler gratuitement notre réservation.
Bienvenue à Zion National Park
Nous reprenons finalement la route, avec sur notre chemin, l’entrée du parc de Zion. Un début d’éclaircie nous convainc d’aller tout de même y faire un tour avant de fuir vers les terres arides du Nevada. Alors que nous nous engageons à l’intérieur du parc, nous subissons une véritable discrimination au poids que je souhaite dénoncer. Parce que nous sommes gros (et pourtant si mignon), nous devons payer 15$ pour passer dans le tunnel de la Zion Mount-Carmel Highway. Évidemment, il est gratuit pour les petits véhicules. Notre camping-car, vexé et meurtri, poursuit sa route les oreilles baissées, en rentrant le ventre.
Nous parcourons la route panoramique qui mène au cœur de Zion. C’est indescriptible, je n’y rendrai qu’un bien terne hommage. Le chemin en lacets nous offre une vue éblouissante sur les ravins, cascades, vallées merveilleuses et précipices qui nous entourent. Nous n’avons malheureusement pas le temps nécessaire pour y rester une journée entière. Le ciel nous menace toujours. Alors nous décidons de nous rendre au visitor center pour réaliser une courte randonnée.
Sachez que pour vous garer sur le parking prévu pour les camping-cars, il vous en coutera 20 dollars. Mais si vous avez un peu de chance comme nous, ce sera gratuit. Car pendant qu’on manœuvrait pour se mettre à notre place, la gentille jeune fille de l’entrée, s’est enfuie de sa cabine car elle était gelée. Alors que j’étais en train de la chercher, une famille américaine qui venait d’arriver, a pensé que j’étais la gestionnaire du parking et m’a donné spontanément un billet de 20 $. Je l’ai évidemment pris avec assurance et leur ai indiqué leur emplacement. J’ai ensuite tout dépensé en drogue et en alcool.
Nous avons réalisé une courte randonnée d’environ 1h30 (Watchman Trail) qui vous mène suffisamment haut pour admirer la vallée. Je suis heureuse de marcher, de m’ébrouer et de me rouler dans la terre.
Et alors que nous revenons à notre camping-car, l’averse reprend là où elle s’était arrêtée. Nous rentrons en galopant jusqu’à notre habitacle. Nous regardons une carte du Nevada, état aride, pour enfin choisir notre prochaine destination et accessoirement notre campement pour le soir. Soudain, nous trouvons l’endroit parfait, le seul qui puisse nous protéger de la colère des cieux. Nous avons encore 2 h 30 de route pour nous y rendre. L’avenir semble radieux. Mais évidemment, les choses vont encore se compliquer…