J’ai essayé de survivre aux Iles Féroé : récit de voyage #2

Voici la seconde partie de ma fuite aux îles Féroé et surtout, le début de la grande dépression.

Jour 4 : La grande dépression

Bien que je sois venue seule aux Iles Féroé, depuis mon arrivée, je ne cesse de parcourir l’archipel île en étant toujours accompagnée. Les photographes que j’ai précédemment rencontrés imposent un rythme de malade que je n’ai plus envie de suivre. Quant il s’agit de manger des burgers,  boire des bières et parler négationnisme, je les rejoins pour leur apporter mon expertise. Mais au-delà, j’arrête. C’est donc très résolue que j’annonce à mon Norvégien et aux autres, que le lendemain, je m’aventurerai seule sur cette île maudite.

Déterminée comme jamais, je me réveille le matin suivant pour explorer les paysages les plus au Nord de l’archipel. Je commence à peine à rouler que le brouillard se lève et la pluie s’abat sur moi. Qu’importe, je continue de faire cap vers le Mordor.  Mais rien n’y fait, je navigue dans un tourbillon qui se déplace avec moi. Je ne vois plus aucun sommet, je devine les cascade par leur seul grondement. Je m’impose toute même une longue marche sous la pluie au bord de la mer pour apercevoir d’en bas ces falaises qui m’impressionnent tant. Trempée et lasse, je m’arrête finalement, m’assois dans l’herbe qui dégorge, et fonds en larmes. Je regrette amèrement de ne pas avoir suivi mon Norvégien aujourd’hui. J’ai envie de m’ouvrir les veines avec une enveloppe en écoutant du Damien Saez. C’est décidé, je fais demi-tour, les fesses trempées.

 

Je fais le plein de nouilles chinoises déshydratées à l’épicerie, avec le seul souhait de me réfugier sur mon nouveau canapé. Je rejoins donc mon prochain hébergement Airbnb, les oreilles baissées, la queue entre les jambes. Les clés en mains, je découvre un appartement en rez-de-chaussée sans clarté, décoré avec l’esthétique de l’avant-guerre. Le sol est marron, le plafond est marron, le canapé est marron, mon âme est marron. Le vent s’est renforcé, en rythme, les volets tapent contre l’unique fenêtre. Quelqu’un sent le chien mouillé et je suis seule dans la pièce. Pour m’enfoncer davantage dans la déprime qui m’a gagnée, je prends au hasard un livre dans la bibliothèque, Les hauts de Hurlevent.

Jour 5 : L’île de Kalsoy

Je déteste tant cet appartement que dès les premières lueurs, je m’enfuis vers le port de Klaksvík pour rejoindre l’île de Kalsoy. Chaque jour, peu de bateaux font ce trajet, vous devez au préalable bien regarder les horaires sur ce site. La traversée s’effectue en moins de 20 min, pour peu que vous soyez bien arrivés en avance pour avoir une place à bord avec votre véhicule.

Kalsoy est une île toute en longueur, couverte de montagnes hostiles. Seule une très mince route la traverse du Sud vers le Nord. Tous les tunnels sont à voie unique, ce qui signifie que vous les traversez le plus vite possible en priant pour que personne n’arrive en face et en hurlant ALLAH AKBAR ! Sur votre trajet, vous naviguez au milieu de charmants villages colorés. Des villages qui doivent se sentir bien seuls sur une île coupée du cœur de l’archipel. Je rencontre un habitant qui s’amuse de me voir allongée dans la boue pour prendre en photo un mouton méprisant. Il est berger et charpentier, sa femme professeure de couture et infirmière. Je lui dis que moi je sais manger un yaourt  en pressant le pot et toucher mon nez avec ma langue. Peu impressionné, il me rejette de sa communauté.

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Arrivée au bout de l’île, une courte randonnée m’attend pour atteindre le phare de Kalsoy. Une fois en haut de la colline, vous avez face à vous des falaises monumentales et des vagues déchaînées.

 

Ce soir-là, je mange des nouilles devant ma TV en panne et débriefe mes amies de ma conquête territoriale des Féroé. J’évoque mon petit crush pour le Norvégien et évidemment, je me trompe de conversation et envoie au principal intéressé :

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Je me rends compte de mon erreur, balance mes nouilles sur ma TV en panne et commence à paniquer. Il lit mon message mais n’y répond pas. A tous les coups, il a utilisé Google translate qui lui a traduit ça :

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Encore aujourd’hui, j’ignore ce qu’il a compris.

Jour 6 : Gasadalur et le village de Bøur

Je quitte ma grotte marron ce matin-là et retourne vers le Sud des îles. Le temps s’est levé, l’espoir revient. Je reprends contact avec les photographes, je ne veux plus être seule. Mais j’apprends que mon Norvégien est parti à l’aéroport, sans dire au revoir à personne. C’est le cœur fendu que je reprends ma route.

Sur l’île de Vagar, je rejoins le village de Bøur où je passe près d’une heure à déambuler et à grimper partout. Si vous trouvez un hébergement dans cette petite bourgade, n’hésitez pas. Je regrette de ne pas m’être réveillée face à cette vue.

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A quelques minutes de là, vous pourrez vous aussi photographier la cascade la plus connue des îles Féroé : Gasadalur. Un beau fond d’écran Windows.

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Ce soir-là, c’est ma dernière nuit. J’ai réservé une petite chambre chez l’habitant pas loin de la cascade. Je suis fatiguée et froissée, ma seule envie est de me rouler dans des draps plus frais que moi. Me voilà devant ma dernière demeure. Je frappe, la porte est cassée et s’ouvre en grinçant. Un homme m’accueille et sans répondre à mon bonjour, me montre une grande mappemonde. « Épingle ta ville », m’ordonne-t-il. Timidement j’essaie de crucifier Paris mais je suis maladroite, et trois épingles tombent derrière le lave-linge. Il soupire, excédé. Sans un mot, il m’entraîne vers la cuisine et me montre avec passion son livre, réalisée avec ses propres photos de l’île. Je n’en ai strictement rien à faire car un détail m’obsède. La maison baigne dans une véritable puanteur. L’intérieur sent la cigarette et la vache. Visiblement une vache fume dans cette maison. Je balaie le rez-de-chaussée du regard. Les affaires débordent des placards, des draps sales dégoulinent sur le sol, j’enjambe des bocaux en verre par dizaines dans l’entrée. Je l’interromps pour qu’il me montre ma chambre.

On monte à l’étage par un escalier qui tient plus de l’échelle. Ma chambre est mansardée, encore plus minuscule que n’était ma chambre d’étudiante au Crous. Aucune des prises électriques ne marche, le sol colle comme s’il avait été nettoyé avec du Coca. A cet instant, je me remémore tous les commentaires Airbnb qui m’ont poussée à choisir cette chambre. Je repense à celui-là :

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Boris, mon grand, il faut que tu apprennes à dire la vérité : la chambre est minuscule, la maison pue la vache, l’hôte est désagréable. Et puis, qu’est-ce que tu entends par « aucune barrière » ? Il t’a regardé dormir ? Des bisous dans le cou ? Une léchouille derrière l’oreille ?

Autant vous dire que ce soir-là, je ne suis pas descendue manger dans la cuisine avec lui. Je me suis contentée de diner sur mon lit avec une salade de patates sous-vide achetée à la station-service. Je me suis forcée à aller prendre une douche, au milieu des draps posés sur la tringle à rideau et les médicaments pour la fertilité de sa femme.

Jour 7 : Départ, fin de la mission civilisatrice

Le lendemain, je me suis enfuie sans déjeuner pour ne pas croiser l’homme-sans-barrière qui vivait au rez-de-chaussée. Je saisis le livre d’or posé fièrement à l’entrée et feuillète les pages précédentes. Tout n’est qu’enchantement et remerciement. Je saigne du nez. Je prends un stylo et inscrit « That wasn’t OK. Chloé ».

Quelques instants plus tard je m’envole pour la France avec le sentiment d’avoir vu des choses encore plus grandes, plus intenses et plus rudes que ce que j’avais imaginé. J’espère que vous irez également aux îles Féroé, mais pas tous, le lieu est bien plus beau sans touristes.